«Le secrétaire de commune» brossé en 1875 par le peintre Albert Anker.

Secrétaire communal, une profession en pleine mutation

07.04.2024
4 | 2024

Forgé lentement et organisé tardivement, le métier de secrétaire communal s’est complexifié depuis plusieurs années. Avec l’arrivée des guichets virtuels, le risque d’une perte de contact avec la population existe. Plus dilué aussi, le cœur du métier est à redéfinir. Des évolutions que l’historienne fribourgeoise Anne de Steiger consigne dans le livre consacré à cette profession dans son canton.

Anne de Steiger s’est inspirée de la cinquantaine d’entretiens qu’elle a réalisés auprès de secrétaires et employés d’administrations communales du canton de Fribourg pour esquisser les contours d’un métier qui s’est métamorphosé en quarante ans. Mais dont, étonnamment aussi, les bases s’acquièrent encore pour beaucoup sur le tas. Il fut un temps où parmi les secrétaires – jadis que des hommes – on scellait des contrats par des poignées de main, rappelle l’auteure. Depuis, par chance, le métier s’est féminisé. Les postes peuvent être partagés (job-sharing) et tout doit être écrit et consigné. Du moins dans le cloud. Car la cyberadministration s’est invitée à bord des 126 communes du canton avec ses guichets virtuels et risques inhérents de vols de données. «Le secrétaire communal numérique est de plus en plus rarement au contact des administrés», observe Anne de Steiger. Les fusions de communes ont aussi bouleversé plusieurs administrations, occasionnant des restructurations et des abandons ou transferts de postes pour éviter les doublons. «Quel est le poids du personnel communal dans un dossier de fusion», questionne-t-elle.  

Cas de contentieux en hausse

Ornant la couverture de son livre, «Le secrétaire de commune» brossé en 1875 par le peintre Albert Anker, surmonté d’un bonnet de nuit avec une plume pincée entre les lèvres, présage d’une plongée dans un univers studieux à plusieurs facettes. Ancienne membre du législatif de la commune fribourgeoise de Belfaux (2016-2021), Anne de Steiger met à profit sa connaissance du terrain et ses compétences d’historienne pour dresser l’état des lieux d’une profession voisine de chef d’orchestre. Mais confrontée aujourd’hui, dit-elle, «à une prolifération de cas de contentieux et de demandes de justification» de la part des administrés. Garants de la mise en œuvre des décisions de l’exécutif, les secrétaires communaux doivent être polyvalents et capables de jongler entre droit public et privé, entre marchés publics et finances communales, entre documents à formaliser et informations à remonter. Dans l’intérêt général. Un sens aigu de la gestion et de l’organisation est par conséquent requis. Et une vision globale et transversale. Il n’est pas déconseillé non plus d’avoir la peau dure pour «désamorcer des tensions et sensibiliser les pouvoirs à des enjeux auxquels ils n’auraient pas pensé». En gros, il faut faciliter ici la réflexion, partant la prise de décision des exécutifs communaux, dit-elle.  

«Le statut de secrétaire milicien a aujourd’hui quasiment disparu.»

Anne de Steiger, historienne

Cœur du métier fragmenté

L’oiseau rare est difficile à dénicher dans les petites localités. Parmi les nouveaux secrétaires, beaucoup n’ont plus de racines ou d’attaches avec la commune. D’où des difficultés à être dépositaire de sa mémoire en dépit d’archives. Jusque dans les années 1980, des secrétaires – souvent des enfants de la commune – faisaient carrière en battant des records d’ancienneté. Ce n’est plus le cas. Aussi parce que le métier est devenu plus exigeant avec l’ajout continuel de nouveaux dossiers (développement durable, cohésion sociale, etc.). A quand un guide pratique pour s’y familiariser? Anne de Steiger signale que les débuts peuvent être fastidieux pour qui débarque dans la profession. Depuis 2022, un groupe de travail se penche sur la publication d’un tel guide au sein de l’Association des Communes Fribourgeoises. Avec le temps, des filières de formation se sont heureusement créées pour se forger selon un cursus reconnu par l’ensemble des cantons romands. Anne de Steiger conclut que «le statut de secrétaire milicien a aujourd’hui quasiment disparu».

Parallèlement, les administrations ont aussi tendance à gonfler en effectif, incitant «les autorités à mener une réflexion globale sur leur personnel». Elle cite le cas de Châtel-Saint-Denis, chef-lieu du district de la Veveyse, où en raison d’une forte poussée démographique et de la complexification des tâches, le nombre d’employés communaux a bondi. Le cœur du métier pourrait être «peu à peu délégué à des adjoints», explique-t-elle. Certaines besognes sont déjà mutualisées. Dans le district de la Gruyère, les communes ont mandaté ainsi un juriste extérieur pour obtenir des réponses rapides à des questions qui exigent une expertise.

Alain Meyer
Collaborateur libre