Verena Kuonen: «L’ordinateur et le téléphone portable nous ont ouvert de nombreuses portes.»

Rendre leur dignité aux personnes avec handicap

13.05.2024
5 | 2024

Voilà plus de trente ans que Verena Kuonen-Kohler se bat pour que les droits des personnes qui souffrent d’un handicap en Suisse, environ 1,85 million aujourd’hui, soient reconnus. L’élue du parlement de Pully a commencé à perdre la vue dès l’âge de 10 ans à la suite d’une dégénérescence maculaire juvénile. Il y a vingt ans, à l’âge de 50 ans, elle est devenue aveugle. Elle s'est accrochée sa vie durant.

Native de Vauffelin, dans le Jura bernois, mais domiciliée depuis 40 ans à Pully, qui jouxte Lausanne, Verena Kuonen-Kohler a été scolarisée à Bienne. Elle rejoignit par la suite une école spécialisée pour aveugles et malvoyants à Zollikofen (BE). «J’ai appris là-bas, notamment, à me débrouiller seule pour des tâches telles que ménage, couture, repassage, cuisine.» S’ensuivra l’Ecole de commerce à Berne avec un CFC à la clé. «Je me suis rendu compte que mon intégration allait être compliquée. Un copain d’étude souffrait des mêmes difficultés. Nous étions seuls dans cette école professionnelle. Dans les années 1970, nous ne savions pas comment nous comporter avec les autres. Idem pour eux. Il fallait prouver que nous étions bons. J’ai obtenu d’excellentes notes.»

Elle retrouvera ensuite son futur mari à Lausanne, puis travaillera huit ans au secrétariat des Retraites populaires comme réceptionniste et téléphoniste de cette mutuelle facilitant l’accès à la prévoyance. «J’écrivais sur une vieille machine Hermès, ma seule écriture. Une belle époque mais pas facile. L’ordinateur et le téléphone portable nous ont ouvert de nombreuses portes», observe-t-elle. Après quoi, elle cessa d’avoir un emploi pour s’occuper de ses deux enfants. Aujourd’hui, elle est quatre fois grand-mère.

Logements adaptés

A Pully, l’appartement qu’elle partage avec son mari, malvoyant lui aussi, est spacieux. Il est situé près des transports publics, commerces et écoles. Elle regrette cependant que toutes les personnes avec handicap ne puissent en dire autant car le nombre de logements adaptés demeure insuffisant en Suisse. Notamment pour les chaises roulantes. Il y a un an, plusieurs organisations, dont Inclusion Handicap, la faîtière des organisations nationales de personnes handicapées, dont Verena Kuonen-Kohler est coprésidente avec la conseillère aux Etats de Bâle-Campagne Maya Graf, ont lancé une initiative «pour une Suisse inclusive». Leur texte demande un meilleur accès au logement, aux transports, au travail, etc. 

Même si l’article 8 de la Constitution fédérale ancre la non-discrimination des personnes en situation de handicap, la loi sur l’égalité (LHand), en révision (voir encadré), s’est enlisée selon elle. «Elle dort depuis vingt ans. Nous avons plusieurs trains de retard et attendons une prise de conscience au niveau fédéral pour que les personnes avec handicap puissent choisir où et avec qui elles veulent habiter. Dans des appartements leur correspondant et non dans des institutions où on les place en dernier recours.» Mais ces logements sont chers. Ni la couverture d’assurance-invalidité, ni les rentes ne suffisent souvent. «Nous formons 25% de la population et regrettons de ne pas être reconnues comme personnes à part entière!»

«Il serait bon que nos édiles se mettent parfois à notre place pour saisir tous nos désagréments.»

Verena Kuonen, élue du parlement de Pully, coprésidente d’Inclusion Handicap

Pavés de la discorde

En tant que députée au législatif de Pully sous les couleurs de l’Union pulliérane, un groupement citoyen, Verena Kuonen-Kohler ne lâche rien. Elle vient de déposer par exemple un postulat critiquant l’installation de pavés inadaptés au centre de sa commune. «J’avais suggéré, pour éviter les chutes, la pose d’un pavage susceptible de faciliter le passage des personnes avec un handicap. Mais aussi celui des seniors avec des déambulateurs ou des parents avec poussettes. Il est fondamental que tout un chacun puisse se déplacer en toute sécurité là où commerces, cafés et services sont concentrés.» En amont, la municipalité avait certes contacté l’Association vaudoise pour la construction adaptée aux personnes handicapées (AVACAH), mais selon l’élue les recommandations n’ont porté alors que sur le handicap visuel. Son postulat a été paraphé par l’ensemble des partis et le dossier renvoyé à l’exécutif.

Au début de sa carrière, son indignation fut la même lorsqu’elle constata combien il était ardu d’avoir accès à des documents. Depuis, à Pully, des guichets à niveau ont été ouverts. Mais des bâtiments administratifs y sont anciens et souvent sans ascenseur. Les escaliers constituent des obstacles si des bureaux sont à l’étage. «Il serait bon que nos édiles se mettent parfois à notre place pour saisir tous nos désagréments», note-t-elle. Au législatif, elle se sent souvent seule. «En politique, beaucoup de choses s’échangent par des regards.» Un mode de communication auquel Verena Kuonen-Kohler n’a pas accès.

Pour un marché du travail accessible

Dans sa réponse à la révision partielle de la LHand, Inclusion Handicap, qui a été consultée, a salué l’extension du champ d’application de la loi aux rapports de travail dans le secteur public, incluant communes et cantons. «Une adaptation nécessaire et urgente au vu des grandes difficultés que rencontrent les personnes handicapées sur le marché du travail», a commenté la faîtière fin mars. Celle-ci regrette toutefois l’absence dans cette révision de mesures pour rendre ce marché également plus accessible.

Alain Meyer
Collaborateur libre