
Les législatifs à l’ère du numérique: entre nécessité et défi
Ordres du jour, procès-verbaux, arrêtés, préavis: ces documents sont traités par les parlements communaux. Leur gestion est une question centrale. Or, qui dit documents, dit souvent numérisation. Mais est-ce toujours la solution choisie? Y a-t-il d’autres voies possibles? Un tour du côté des cantons de Vaud et de Fribourg montre que les législatifs en Suisse romande ont des pratiques très hétérogènes, reflétant les besoins et caractéristiques de chaque commune.
«Le canton de Vaud compte 300 communes, il existe donc 300 manières de faire», dit Eloi Fellay, directeur de l’Union des Communes Vaudoises (UCV), au sujet de la gestion des documents. Les pratiques dépendent de la taille et des ressources: les conseils généraux, les législatifs de communes jusqu’à 1000 habitants, traitent moins de documents et disposent de moyens plus limités que les conseils communaux. «Un village de 500 âmes a besoin d’un autre système qu’une ville comme Yverdon qui a trois séances par mois», illustre Eloi Fellay.
Petites communes, démocratie directe
Les conseils généraux adoptent des solutions pragmatiques. «Le principe est celui de la démocratie de proximité», dit le directeur de l’UCV. Si beaucoup utilisent le site de la commune pour leurs documents, certains préfèrent la lecture du procès-verbal et son approbation en assemblée. Une diffusion dans le bulletin officiel ou sur le tableau d’affichage public est une autre option.
«Le principe est celui de la démocratie de proximité.»
Les 94 communes fribourgeoises sans conseil général fonctionnent de même, privilégiant une communication directe, explique Grégory Grin, responsable de l’initiative DIGI-FR à l’Association des Communes Fribourgeoises (ACF). «Les assemblées communales ressemblent à la Landesgemeinde: la population participe à une séance publique et vote. Un P.-V. est ensuite publié.»
Dans les 27 communes fribourgeoises dotées d’un conseil général, ceux-ci disposent d’un secrétariat dédié et donc pour la plupart d’une adresse mail spécifique. «Cela permet de séparer les documents au sein de la commune», souligne Grégory Grin. Il existe en général des espaces de stockage distincts pour le législatif et l’exécutif. Le recours à un service de cloud et à un extranet est courant, mais il n’y a pas de pratique généralisée.
«Une adresse mail spécifique permet de séparer les documents au sein de la commune.»
Oui au numérique, mais pas à tout prix
La nécessité du numérique fait la quasi-unanimité: «Seules deux communes n’ont pas de site internet», dit Eloi Fellay. Certaines - les plus grandes - se dotent d’un intranet, ce qui permet par exemple de ne publier un document qu’une fois qu’il est définitif. Cela peut se révéler utile en cas de données personnelles.
Si la numérisation facilite la transmission d’informations, elle n’est pas toujours la panacée. Eloi Fellay: «Cela demande d’une part des ressources et, d’autre part, cela peut complexifier des processus éprouvés.»
Le canton de Fribourg n’a pas de données sur les communes avec un législatif entièrement numérisé. Le conseil général du chef-lieu est en cours de numérisation, mentionne Grégory Grin: «L’extranet de la Ville de Fribourg sera étendu au parlement.»
L’UCV et l’ACF conseillent les législatifs vers la solution la plus adaptée. «Nous partageons les bonnes pratiques, parfois des solutions peuvent être mutualisées», évoque Eloi Fellay. Mais pas question d’imposer des normes, souvent «contreproductives», notamment pour les petites communes, qui doivent rester souveraines en la matière.
Les données personnelles, un enjeu complexe
Le numérique soulève l’enjeu lié aux données personnelles. Cécile Kerboas, préposée vaudoise à la protection des données: «Une diffusion sur internet n’a pas les mêmes implications qu’une consultation sur place, les données étant plus facilement accessibles.» Les organes législatifs doivent éviter de mettre en ligne des informations concernant des personnes non élues. Elle cite le recours d’une personne naturalisée: ses données avaient été diffusées sur internet par le biais du procès-verbal du conseil.
Idem pour les données privées des élus, question fréquente dans un système de milice. «Peut-on publier sur internet l’adresse e-mail personnelle ou le téléphone privé d’un élu? Ces interrogations préoccupent les législatifs», dit Cécile Kerboas. Elle a formé des communes en quête de clarté. «Il y a une prise de conscience: la protection des données n’est plus perçue que comme une contrainte. Les élus sont plus sensibles à la manière dont sont traitées les données personnelles.»
«Les élus sont plus sensibles à la manière dont sont traitées les données personnelles.»
La publication d’enregistrements audio ou vidéo des séances du législatif et la diffusion en ligne de débats publics nécessitent aussi de respecter certaines règles. Dans les cantons de Neuchâtel et du Jura, le préposé à la protection des données met à disposition une liste d’avis liés à ces questions.
Des archives pour répondre au devoir d’information
Les communes sont tenues par la loi sur l’information de «mettre à disposition des informations sur leurs missions» et d’«expliquer leurs projets ainsi que leurs actions», rappelle l’Autorité vaudoise de protection des données et de droit à l'information dans une fiche d’information. Pour Eloi Fellay, la disponibilité des informations est un enjeu: «Qui dit publication, dit structuration et donc archives.» Or, se doter d’un système d’archivage n’est pas à la portée de tous les législatifs ni indispensable. Cela a du sens pour les grandes communes comme Yverdon. Dans le canton de Fribourg, de nombreuses communes disposent d’un système de gestion électronique des affaires («GEVER») qui permet de stocker et d’archiver les documents.