La compensation de la plus-value permet de valoriser les espaces verts.

Les avantages majeurs doivent être compensés

11.08.2022
7-8 | 2022

Si des plus-values majeures résultent de changements d’affectation ou d’augmentations des possibilités de construire, les cantons et les communes doivent veiller à ce qu’elles soient compensées de manière équitable. C’est la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal fédéral dans un récent arrêt.

La compensation de la plus-value n’est pas une nouveauté en soi. Depuis 1980 déjà, la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) incite les cantons à mettre en place une compensation équitable pour les avantages et inconvénients majeurs dus à des mesures d’aménagement du territoire (art. 5 al. 1 LAT). Ce n’est pourtant qu’à partir de 2014 que la LAT révisée (LAT 1) a exercé suffisamment de pression sur les cantons pour que ceux-ci mettent réellement en œuvre ce mandat. Les cantons avaient cinq ans pour adopter les dispositions légales nécessaires. Pour éviter d’être sanctionnés, ils étaient tenus de prévoir au minimum une taxe de 20% sur les nouvelles mises en zone à bâtir.

Maintenant, le Tribunal fédéral a tranché – et ce n’est pas la première fois: tous les avantages majeurs résultant de mesures d’aménagement du territoire doivent être compensés. Il a ainsi clarifié la question de savoir si les cantons doivent, en plus de la compensation à hauteur de 20% lors de nouvelles mises en zone à bâtir, mettre en œuvre le mandat législatif général de l’article 5 alinéa 1 de la loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT).

Le mandat général de compenser la plus-value subsiste

Dans un récent arrêt concernant la commune bernoise de Meikirch, la Cour suprême s’est penchée en détail sur la disposition de droit fédéral relative à la compensation de la plus-value (art. 5 LAT), en mettant l’accent sur le mandat législatif général découlant de son alinéa 1. Depuis 1980 déjà, cet alinéa exige des cantons qu’ils veillent à «tenir compte équitablement des avantages et des inconvénients majeurs qui résultent de mesures d’aménagement». Alors que depuis 2014, les nouvelles mises en zone à bâtir sont réglées de manière détaillée par le mandat législatif dit «minimal» (al. 1bis), le mandat législatif général (al. 1) se réfère en particulier, selon les juges lausannois, aux avantages majeurs résultant d’un changement d’affectation ou d’une augmentation des possibilités de construire. Durant le processus législatif de révision de la LAT, il n’a jamais été question d’affaiblir la réglementation fédérale.

L’arrêt Meikirch s’inscrit dans la lignée des précédents arrêts sur la compensation de la plus-value. Le Tribunal fédéral y confirme et développe ses précédents considérants tout en rejetant brièvement mais clairement les critiques formulées à leur égard. Le fait que l’arrêt ait été rendu «seulement» par trois juges montre que le Tribunal fédéral ne voit aucune raison de s’écarter de sa jurisprudence antérieure.

Mise en œuvre et contrôle

Selon le Tribunal fédéral, le mandat législatif de l’article 5 LAT peut être rempli par le canton lui-même ou par ses communes. La responsabilité première relève toutefois du canton et si ce dernier devait avoir délégué la mise en œuvre de la compensation de la plus-value en cas de changement d’affectation ou d’augmentation des possibilités de construire à ses communes, c’est à lui qu’il incombe de veiller à ce que les communes remplissent leur tâche.

Dans son arrêt, le Tribunal fédéral a finalement «invité» le Canton de Berne et la Commune de Meikirch à régler la compensation de la plus-value conformément au droit fédéral, y compris en lien avec les changements d’affectation et les augmentations des possibilités de construire.

Les cantons sont appelés à agir

Sur la base de ce jugement, attendu avec impatience par les spécialistes, d’autres collectivités publiques, en premier lieu les cantons, devront examiner leur législation sur la compensation de la plus-value et l’adapter si nécessaire. Le Tribunal fédéral relève toutefois expressément que les cantons disposent à cet égard d’une grande marge de manœuvre. Celle-ci concerne non seulement l’adaptation nécessaire au contexte local, soit à partir de quand un avantage doit être considéré comme majeur et quel taux de compensation est équitable, mais aussi les instruments ou les moyens avec lesquels la compensation est effectuée. Des solutions contractuelles devraient donc être possibles, à tout le moins en ce qui concerne le mandat législatif général (al. 1).

Même si le délai transitoire introduit par la révision de la LAT et entré en vigueur en 2014 est échu, les cantons feraient bien de s’assurer que leurs dispositions sur la plus-value sont conformes au droit fédéral. Cela crée une sécurité juridique – y compris pour les communes qui pourraient sinon connaître le même sort que la commune de Meikirch.

L’huile dans les rouages de la densification

La compensation de la plus-value est bien plus que la simple mise en œuvre législative d’un mandat impératif. Elle constitue un instrument important pour la mise en œuvre de la LAT 1 et en particulier pour un développement vers l’intérieur de qualité. En d’autres termes, elle met de l’huile dans les rouages de la densification. Les recettes issues de la compensation de la plus-value peuvent être utilisées pour densifier avec qualité et pour indemniser les propriétaires en cas d’expropriation matérielle. Ce n’est qu’ainsi que le système équilibré des plus- et des moins-values peut fonctionner conformément à ce qui a été voulu par le législateur. L’expérience montre, en outre, que la population est davantage disposée à soutenir la densification si elle profite également des plus-values générées par celle-ci. Lorsque la qualité d’un site à densifier est améliorée grâce à des espaces libres et des espaces verts financés par la plus-value, la densification sera plus facilement acceptée.

Perspective

Dans le cadre des délibérations sur la deuxième étape de la révision de la LAT (LAT 2), la question de l’obligation de compenser les avantages majeurs résultant d’un changement d'affectation ou d’une augmentation des possibilités de construire a été remise en question (voir encadré «La compensation de la plus-value en politique»). L’argument avancé est que, dans ces cas-là, l’obligation de compenser les plus-values rendrait plus difficile, voire empêcherait le développement vers l’intérieur. Bien conçue, la compensation de la plus-value est, au contraire, un vecteur important d’une densification de qualité. Pour cela, il est déterminant de concevoir cette compensation de manière différenciée. Il apparaît ainsi que, contrairement aux nouvelles mises en zone à bâtir, la compensation de la plus-value en cas de changement d’affectation ou d’augmentation des possibilités de construire pourrait se calculer en fonction du projet concret et n’être exigible qu’une fois la plus-value réalisée (modèle dit «bâlois»). Ainsi appliquée, la compensation de la plus-value est davantage soutenue que combattue par les propriétaires fonciers concernés.

Un dernier élément de réflexion: si la compensation de la plus-value est convenue par contrat, le propriétaire peut influencer son utilisation, ce qui la rend plus intéressante pour lui. Vu que, dans ces cas-là, les fonds sont régulièrement utilisés aux abords immédiats du projet de construction, celui-ci sera mieux accepté par la population et par le propriétaire, et réduit ainsi le risque d’oppositions.

Si l’on devait renoncer de manière générale à la compensation de la plus-value en cas de changements d’affectation ou d’augmentations des possibilités de construire, le développement vers l’intérieur en serait freiné et non pas favorisé. Sans mesures simultanées visant à augmenter la qualité et la valeur d’habitat et l’espace de vie dans le quartier, les oppositions sont inévitables. Dans ces cas-là, la population est nettement moins disposée à soutenir des projets de densification. Du point de vue de l’aménagement du territoire, la compensation des avantages majeurs, dus à des densifications, est et reste une nécessité.

La compensation de la plus-value en politique

Les réactions politiques à l’arrêt Meikirch (BE), mentionné ci-dessus, ne se sont pas fait attendre. Dans le cadre des délibérations du Conseil des Etats sur la deuxième révision partielle de la LAT (LAT 2) concernant les constructions hors zone à bâtir, une proposition individuelle a été adoptée à l’unanimité. Celle-ci vise à passer outre à l’interprétation de la loi faite par le Tribunal fédéral, en évitant que les cantons soient explicitement tenus d’aller au-delà de la réglementation minimale (20% pour les nouvelles mises en zone à bâtir).

Parallèlement, le Conseil des Etats veut élargir l’utilisation de la compensation de la plus-value: il a complété l’article 5 LAT en ce sens que la démolition de constructions et d’installations devenues inutiles hors de la zone à bâtir doit être financée en premier lieu par la compensation de la plus-value – en plus du financement d’un développement vers l’intérieur de qualité, comme le prévoyait la première révision partielle de la loi sur l’aménagement du territoire (LAT 1). Encore faut-il que les recettes issues de la plus-value soient suffisantes pour financer toutes ces mesures. Or, ce n’est précisément pas le cas dans la grande majorité des cantons.

Samuel Kissling
Responsable Droit
EspaceSuisse

Arrêts déterminants concernant la compensation de la plus-value:

Plus d’informations: www.espacesuisse.ch